5.2.10

iPad : si j’étais Apple je m’inquiéterais

La fièvre autour de l’iPad retombe tranquillement et c’est maintenant le temps plus calme où l’analyse à froid prend le pas sur la folie des annonces. Et si l’annonce de l’iPad a soulevé un enthousiasme poli mais modéré, sans toutefois le fameux effet wow attendu, le moins que l’on puisse dire à la lecture des nombreux billets publiés après coup sur les blogs et sites high tech, mais aussi dans les médias non spécialisés, est que la tendance est plutôt au buzz négatif, ou tout du moins, mitigé.
ipad01 iPad : si jétais Apple je minquiéterais

Génial, l’iPad est un gros iPod Touch. Zut, l’iPad n’est qu’un gros iPod Touch.

Je ne compte plus les articles de fond, documentés et argumentés qui s’expriment clairement en défaveur de l’iPad, lui reprochant principalement ce que l’on reproche souvent aux produits Apple : ses limites logicielles et techniques (pas de Flash player, pas de port USB, pas de webcam…), et son manque d’ouverture (DRM, iTunes obligatoire…), mais aussi l’ergonomie de ce type de terminal : iPad : La Tablette faite-elle Loi ? Des reproches connus que l’on adressait déjà à l’iPhone, me direz-vous, qui ne l’ont pas empêché de se vendre par millions. Oui mais voilà : le temps internet passe vite, très vite, et les choses évoluent au même rythme. Ce qui pouvait encore passer sur un smartphone n’est plus toléré sur une tablette qui se veut, selon Steve Jobs lui-même, une machine révolutionnaire « bien plus performante qu’un netbook ». Mais au-delà des éditorialistes, qui donnent déjà la tendance, ce sont les commentaires dans les blogs (à commencer par ici et ici) qui sont édifiants : je n’ai pas fait d’étude statistique ni d’analyse sémantique exhaustive mais il suffit de parcourir les discussions pour comprendre que, en l’état, une majorité significative (que j’évalue à 70%) des commentateurs disent qu’ils n’achèteront pas l’iPad. Bien sûr on sait que les réactions à chaud, qu’elles soient excessivement positives ou négatives, ne sont qu’une photographie d’un moment donné, qu’elles ne sont pas significatives d’une véritable intention, et qu’elles ont tendance à se niveler avec le temps : il y aura certainement plus d’acheteurs de l’iPad dans deux mois que les commentaires du web ne le laissent entendre aujourd’hui. L’effet de curiosité poussera au moins même les plus sceptiques à aller voir l’engin dans leur Apple Store ou Fnac favoris, et on sait ce qu’il advient souvent dans ce cas : une fois que vous avez le bijou en main, vous êtes mort. Le désir déclenche l’achat d’impulsion, vous faisant soudainement oublier les défaut énervants de la machine. A condition bien sûr d’avoir au moins 499 dollros (c’est la monnaie Apple : 1 dollar égale 1 euro) dans la poche.

Apple en panne d’amour ?

Les temps ont changé. Ce que l’on pardonnait encore à Apple il y a quelques années (je situe le pic de l’Applemania à la sortie du premier iPhone) fait aujourd’hui l’objet de beaucoup moins de mansuétude. Parce-qu’il y a encore quelques années Apple était le challenger, le trublion, le petit surdoué branché qui titillait les mastodontes. Celui qui possédait des parts de marché tellement marginales que même Wall Street s’en tamponnait le coquillard (mais plus maintenant). Posséder un produit Apple constituait un signe distinctif, et vous classait d’emblée dans une catégorie à part, un peu au-dessus de la mêlée (y compris pour les tarifs) des beaufs à PC (disclaimer : je suis un beauf à PC). Oui mais voilà : à force d’être surdoué et de proposer des produits aussi réussis que sexy et onéreux (et donc à forte marge), Apple est devenu un mastodonte, entrant dans le club très privé des entreprises qui font un chiffre d’affaire de plus de cinquante milliards de dollars. Et là ça rigole plus : en même temps qu’Apple grossit, la marque s’institutionnalise et, pire, se banalise. Et du coup le discours des internautes vis-à-vis d’elle se fait moins bienveillant et plus acerbe. J’ai constaté ces changements y compris chez des utilisateurs convaincus de la marque à la pomme : leur amour de la firme de Cupertino et de ses produits atteint ses limites, et l’iPad pourrait bien faire les frais de cette désaffection. Même si pour le coup j’aurais un point de vue plus proche de celui exprimé par Laurent Gloaguen : si l'on souhaite juger de la révolution de l'iPad et de sa portée, il faut utiliser une grille d'analyse "consumer electronics" plutôt que "geek-informatique".

Encore un petit effort monsieur Jobs

Pour toutes ces raisons, si j’étais Apple, je m’inquiéterais, et je profiterais des deux mois qu’il reste avant la sortie de l’iPad pour redresser la barre en lui adjoignant rapidement au moins un port USB ou SD, et une compatibilité avec Flash. Pour la webcam, tant pis. Car il n’y a certainement pas pire péril pour une telle marque que de se banaliser et, pendant, de perdre ce qu’elle a de plus cher : l’affection de ses clients. Quand l’affection n’est plus là, tout paraît beaucoup plus cher, et l’iPad, qui risque aussi de souffrir de la concurrence du HP Slate et de la tablette Android de Dell, pourrait tout à coup paraître très cher…